UN HOMME / UN MÉTIER
Portrait de Boulanger… Eric Kayser
Incontestablement l'un des meilleurs boulangers de Paris, Eric Keyser est internationalement reconnu à travers le monde comme "Le" boulanger. Né les "mains dans le pétrin"; compagnon du Tour de France, il fait partie de ces êtres d'exception qui ont su donner leurs lettres de noblesse à un métier artisanal.
En dehors de votre héritage familial qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir boulanger ? Vous auriez pu vous orienter vers la pâtisserie ?
L’héritage familial c’est déjà une excellente raison !
Plus objectivement, j’ai toujours eu ce rapport à la terre et aux choses simples. Et le pain c’est précisément l’addition d’éléments simples, presque primaires : de l’eau, de la farine du sel, qui sous l’effet du feu et de sa cuisson, créent, comme par magie, des arômes subtils et délicats. Mais cette alchimie exige un savoir-faire, qui m’a toujours fasciné depuis ma tendre enfance. La pâtisserie ne m’a véritablement attiré que plus tardivement.
Fils, petit-fils et arrière petit-fils de boulanger… Pouvez-vous nous parler de votre famille et de son historique dans la boulangerie ?
Avec un environnement comme celui-ci là, j’ai l’impression d’être né dans un fournil ! Les odeurs de céréales torréfiées, de beurre, de caramel sont pour moi des sensations presque maternelles ! Le pétrin je suis tombé dedans étant petit. Je crois me souvenir qu’à l’âge de quatre ans je savais déjà que je voulais être boulanger ! Dès que je l’ai annoncé à mes parents et grands-parents, ils étaient si fiers !
Où avez-vous fait vos études de boulanger ? Quel a été votre cursus ?
En 1977, j’ai quitté la Haute-Saône où vivaient mes parents et je suis parti à Nice. Après un CAP et l'apprentissage, et un passage sous les drapeaux, comme casque bleu au Liban, j’ai entamé « mon tour de France » en 1983. Après le compagnonnage, je suis devenu formateur à l’INBP.
Le compagnonnage a t-il été une expérience particulière pour vous ? Que vous a t-elle apporté ?
Le compagnonnage a été une expérience extraordinaire et indispensable pour moi. C’est tout d’abord une formation exigeante où les techniques sont patiemment enseignées. Mais c’est au contact des hommes que s’achève véritablement l’apprentissage de ce merveilleux métier. Le Tour de France qui clôt en effet cette formation a été pour moi un voyage formidable parmi les savoir-faire, au cœur de la sensibilité de ces hommes pour qui faire du bon pain est presque une religion ! J’ai appris qu’il pouvait y avoir autant de pains que de caractères et de sentiments humains. Je crois que c’est à la suite de cette expérience que je me suis mis à voyager dans le monde entier, pour toujours m’enrichir des autres hommes, de leur goût et de constamment faire évoluer le pain.
Si je devais résumer mon Tour de France, il en serait ainsi : « Apprendre, Apprendre à apprendre, former, transmettre ».
Pourquoi Tokyo ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous y installer ? Combien de temps êtes-vous resté ? Comment est-ce que les Japonais appréhendent le pain français ? Que représente t-il pour eux ? Comment avez vous été accueillis ?
Le Japon est un pays qui a toujours beaucoup suscité ma curiosité. La distance géographique, les coutumes de ce peuple sont si éloignées des nôtres et si raffinées ! La rigueur de leur savoir-faire, m’a toujours beaucoup impressionné ! J’ai tout de suite su que leur délicatesse devait rencontrer le savoir-faire français et que cette « fusion » produirait quelque chose de bon !
Lorsque j’ai reçu le jeune Shu en apprentissage dans ma boulangerie de la rue Monge, et qu’il m’a proposé que nous ouvrions une boulangerie à Tokyo, j’y ai vu un signe. Après quelque aller-retour sur place, j’ai décidé d’installer une première boulangerie, puis une seconde… J’ai été chaleureusement accueilli, les japonais et japonaises sont des personnes agréables mais également très exigeantes. Si la qualité n’est pas constante, ils n’ont aucun mal à vous oublier. De nombreux français sont revenus du Japon !
Lorsque vous indiquez que le compagnonnage vous a permis d’affiner vos techniques de cuisson, pouvez-vous nous expliquer en quoi et comment ?
Auprès de tous ces hommes j’ai pu appréhender tout ce qui peut arriver à un boulanger et notamment en ce qui concerne la cuisson. Chaque geste a une incidence sur le pain et ses saveurs. Pas un livre ne peut mieux vous l’apprendre que la pratique régulière de ce métier. Reconnaitre une pâte qui a bien levée, qui est prête à être enfournée, sentir sous sa main le pâton qu’on incise, déclarer qu’une pâte qui se craquèle au four a achevé sa cuisson…Par définition, toutes ces étapes seraient difficiles à décrire par de simples mots. Il faudrait m’accompagner au fournil pour bien vous rendre compte ! Je vous emmène si vous voulez !
Avant de devenir boulanger, vous avez déjà été professeur à l’INBP ?
Pour être professeur à l’INBP, il faut être boulanger ! A fortiori, en tant que formateur, on continue de se former au contact des autres. On apprend de chacun, des succès et surtout des erreurs.
Pourquoi ce choix ? Vous auriez pu ouvrir un magasin ?
Dans l’esprit du compagnonnage, le savoir-faire est une chose, mais faire savoir est également essentiel. Dès qu’un compagnon acquiert une connaissance, il devient alors dépositaire d’un savoir qu’il doit à son tour transmettre. Aussi après l’expérience extraordinaire du Tour de France j’ai eu envie de la faire partager. J’avais envie d’enseigner. Le souhait d’ouvrir un magasin est en effet venu plus tard.
Pouvez-vous nous expliquer la genèse de la création de votre appareil à fabriquer du levain naturel liquide ? Comment se compose-t-il ? Comment fonctionne-t-il ? D’où vous est venue cette idée ?
Quand on travaille avec des éléments vivants comme le levain liquide, cela exige beaucoup de rigueur. La maitrise de l’ensemble du processus de fabrication d’un pain est garante de la constance des textures et des saveurs. Un changement de température, une variation d’hygrométrie et le pain ne sera pas le même. Je me suis dès lors interrogé : « pourquoi ne pas inventer une machine qui permettrait à tout moment d’avoir un levain liquide d’une qualité régulière ? C’est un produit fragile alors pourquoi ne pas aider le boulanger à le cajoler, pour assurer au pain une qualité irréprochable ? »
Cette machine brevetée en 1994 et mise au point avec Patrick Castagna, mon confrère de l’INBP permet d’avoir un levain liquide prêt-à-l’ emploi.
Actuellement il existe plus de 100 boulangeries Eric Kayser dans le monde. Pouvez-vous nous détailler leurs spécificités par pays ? En quoi sont-elles uniques ?
Nous avons des boulangeries en Asie (Japon, Corée, Tawain, Honk-Kong, Philippines, Indonésie et bientôt en Thaïlande et au Cambodge) ; en Afrique (Maroc, Sénégal, Congo, et bientôt en Tunisie) ; au Liban et dans les Emirats arabes unis ; aux USA et au Chili. En Europe, nous sommes au Portugal et en France !
Le lien commun : du bon pain pour tous ! Plus de 80% des produits sont identiques d’un pays à l’autre. Nos chefs font le tour du monde et restent en place un à deux ans minimum par pays pour former aux tours de main de la Maison le personnel sur place. De la même façon les bons éléments sont envoyés en formation à Paris. Il n’est pas rare de voir chez nous des chefs japonais ou américains se mélanger à nos équipes. On se comprend par les gestes !
Il reste 20% d’adaptation aux produits qui se manifestent par des recettes locales revisitées par nos soins (croissant au thé vert du Japon, la ciabatta "Bai Qie Ji" : un pain au poulet inspiré d’une recette cantonaise,…) et par un design pensé « local ». Les grands codes de la Maison sont repris mais on travaille à chaque fois avec un architecte local pour faire une boulangerie avec des matériaux locaux. L’essentiel est que le pain soit toujours en valeur.
Si vous aviez des conseils à donner aux jeunes qui veulent devenir boulangers aujourd’hui, quels seraient-ils ?
C’est un métier qui est dur, mais qui est très gratifiant. Façonner de ses mains, savoir que ce travail finira sur les tables d’amis ou en famille, se dire qu’on est un « facilitateur de partage », n’est-ce pas un métier formidablement humain au fond ?
Les conseils sont dès lors simples : aimez votre travail, soyez précis et vous n’aurez jamais l’impression de travailler !
Quels cursus faut-il suivre désormais pour exercer ce métier avec le meilleur bagage possible ?
Tout dépend de l’ambition de chacun ! Si vous voulez être un bon boulanger, obtenir un CAP et finir son compagnonnage sont un bagage formidable. Si vous avez l’esprit d’entreprendre, une formation en management peut-être bénéfique.
Mais une chose est sûre, si on ne travaille pas, aucune formation n’est suffisante.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’ouvrir – enfin – une première boulangerie en 1996 à Paris ?
L’envie de partager directement avec les gourmands ! J’avais envie d’être plus au contact des consommateurs, et c’est une excellente façon de recueillir leurs envies, leurs goûts, leurs critiques aussi parfois ! Bref, je me considère comme quelqu’un qui ne peut cesser d’apprendre et ce, au contact de tout homme. Ouvrir ma propre boulangerie c’était une façon de faire évoluer ma conception du métier.
Vous avez écrit plusieurs ouvrages. L’écriture est pour vous une passion ? Un moyen d’évacuer le stress ? Ou simplement de transmettre votre savoir ?
Le livre demeure le meilleur vecteur de transmission de savoir. Et enseigner ma passion, quel qu’en soit le moyen demeure une vocation de tous les jours. Il est une façon de prendre le temps, de s’exercer soi-même dans sa cuisine et de devenir acteur de partage.