UN HOMME / UN MÉTIER

Portrait de Chef… Jacques Faussat

Un chef "inspiré"

Exigeant, passionné, Jacques Faussat (1 étoile au Michelin), originaire du Gers, cultive les contrastes d’une cuisine qui glisse entre les cultures, entre goût pour le terroir et une esthétique qui rappelle le raffinement japonais. Ce gascon attaché aux valeurs de la terre et du travail propose une expérience gastronomique tout en délicatesse dans un lieu qui porte son nom et qui lui ressemble.

On dit que vous êtes un chef « inspiré » ! Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous lancer en cuisine ?

 

Je viens d’une famille qui cuisine ! Ma mère et ma grand-mère avaient l’habitude de cuisiner pour les amis, la famille… de cueillir leurs légumes au jardin. Le dimanche, ma grand-mère qui était amie avec un restaurateur, m’envoyait « travailler » chez lui. J’ai toujours «baigné» dans cette atmosphère et ce qui était un plaisir, une envie, est, au fil des années et des rencontres, devenu une passion.

Vous avez commencé vos études à la fois comme cuisinier et comme pâtissier-confiseur-chocolatier… Etait-ce par esprit  d'indécision ou un besoin de découverte globale ?

 

J’ai fait mes classes à l’Ecole hôtelière de Tarbes où j’ai obtenu un CAP de cuisine et un CAP de pâtissier-confiseur-chocolatier et glacier.
Pour moi c’était un tout. La cuisine ce n’est pas seulement des viandes, des légumes, c’est également des desserts. Cuisine et pâtisserie se tiennent et sont indissociables. Aujourd’hui, je travaille autant ma carte en cuisine qu’en pâtisserie.

Vous avez remporté le concours de Meilleur apprenti du Sud-Ouest. Cette récompense a t-elle été décisive dans votre parcours ?

 

Le concours de « Meilleur apprenti du Sud-Ouest » je l’ai gagné en 1982. C’est juste le fruit d’un travail réalisé le mieux possible, avec tout mon cœur. Si ce prix m’a fait très plaisir, je me suis rendu compte qu’il me restait tout à apprendre. Je suis monté pour la première fois à Paris à 18 ans. A l’époque, mon maître d’apprentissage a guidé mes pas, ainsi que tous ceux qui m’ont formé. Pendant quelques années, j’ai parcouru la France dans des établissements prestigieux et étoilés au Guide Michelin :
Le Ripa Alta, avec Maurice Coscuella, le Fouquet’s, avec Pierre Ducroux, les Prés d’Eugénie, avec Michel Guérard, le Carré des Feuillants, avec Alain Dutournier.

Vous avez beaucoup voyagé… en commençant par le Liban. Qu’est-ce qui vous a poussé à faire ce choix ?

 

Une opportunité. Je suis parti à Beyrouth en 1991 pour travailler pour un ministre du gouvernement libanais durant six mois. Un séjour et une expérience qui m’ont ouvert les voix de l’exotisme. Marier le Sud-Ouest aux parfums d’ailleurs est devenue alors une évidence. S’inspirer et créer. Retrouver les saveurs d’origine mais les réinventer. Avec subtilité pour que l’assiette devienne la région que vous ne connaissez pas encore. Appartenir à une terre tout en étant de partout. Puiser hors frontières la lumière de Picasso ou l’expression brute de Soulages, la dentelle de Séville, aller chercher des palettes colorées pour composer ou créer. J’ai un ancrage naturel et sincère dans le terroir, mais j’ai besoin de l’énergie de Barcelone, de Marrakech, de Paris ou de Tokyo. Mes voyages m’ont permis de plonger dans les cultures locales, du marché au musée, de partir à la rencontre des gens de la terre et des artisans du goût. Voyager c’est répondre à un besoin de m’évader, de voir d’autres cultures, de découvrir d’autres cuisines, d’autres épices. Pour créer, j’ai besoin de m’imprégner des choses… des Côtes d’Armor, lorsque je cuisine les coquilles Saint-Jacques d’Erquy, à Sarawak lorsque je marie le poivre avec le chocolat ; des étangs de Sologne d’où provient mon gibier à plumes, à l’Inde qui relève les magrets de canard, ou de l’Ile d’Oléron où sont élevées les huîtres, au Gers, ma terre natale…

C’est un aboutissement la première étoile ?

 

C’est juste le fruit d’un travail fait le mieux possible. Ca m’a fait très plaisir. Mais, quand vous êtes dans la rigueur, quand vous faites votre travail avec sérieux, tous vos clients sont des « Michelin ». Les étoiles sont une forme de reconnaissance mais il ne faut pas oublier que c’est un métier où vous êtes jugé à chaque table. Et le plus dur avec les étoiles, c’est de les garder !

Pourquoi avoir transformé La Brassière ?

 

Pour qu’elle me ressemble ! En 2015,  j’ai décidé de renommer mon établissement « Restaurant Jacques Faussat » et en même temps j’accueille mes clients dans une nouvelle décoration qui correspond mieux à ce que je suis et à ce qu’est ma cuisine aujourd’hui.

Je suis attaché à servir une cuisine généreuse, goûteuse, rythmée par les saisons, teintée d’épices exotiques glanées durant mes voyages.

Je la veux simple - pas plus de trois produits sur l’assiette - et ce, pour un meilleur accord avec les vins que je choisis eux aussi avec attention. J’aime lier le vin à ma cuisine, accorder les arômes. Le tout, selon l’expression consacrée, avec modération, car je suis depuis de nombreuses années soucieux de la santé et des propriétés de chacun des aliments et produits que je travaille et soucieux de ne pas alourdir par trop de sucre, par trop de graisse… Qu’y a-t-il dans le gingembre ? Pourquoi consommer le poisson bleu à une période de l’année plutôt qu’à une autre ? Je sais, je sens, que si je respecte cette saisonnalité, le rythme de la nature et la particularité de chacun des produits, je me respecte moi-même et je respecte le goût.

C’est en ce sens que je souhaite ne pas brutaliser la matière première. Je cuis lentement, je mijote, je confis. Je regarde l’aliment se transformer, j’aime prendre le temps pour ressentir toute la substance,  pour humer les herbes, retrouver les odeurs de sous-bois, la fraîcheur des viandes, découper avec concentration pour comprendre la matière, être rigoureux dans mes gestes… comme pour démultiplier mes sens, comme une plongée en précision. Je vis et exprime avec mon cœur une cuisine directe et créative, toute en délicatesse.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous installer dans votre propre affaire ?

 

La première place de Chef, c’est génial. C’est ce qui permet de pouvoir s’installer par la suite. A mon retour du Liban, j’ai pris le poste de chef de cuisine pendant dix ans au Trou gascon, restaurant étoilé, avec la belle complicité d’Alain Dutournier. En 2002, j’ai mis toutes mes économies dans l’achat du restaurant La Braisière dans le 17ème arrondissement de Paris. Il faut savoir que lorsque vous rachetez, seul 20 % de la clientèle reste. Vous prenez un pari sur l’avenir. La même année, j’ai été élu «Meilleur jeune chef de l’année»,  puis j’ai obtenu la consécration dans la foulée avec une étoile au Michelin en 2004.

Si vous aviez un conseil à donner à des jeunes qui veulent se lancer dans votre métier, quel serait-il ?

 

De s’accrocher ! C’est un super métier, mais c’est aussi un métier où l’on ne peut pas faire semblant. Ainsi, les émissions de télé-réalité suscitent des envies, mais il faut être conscient que c’est un métier très dur où il faut travailler beaucoup. Etre Chef, ce n’est pas que remuer des poêles… Le Chef doit être quelqu’un de cultivé. Le problème actuellement c’est que ce sont souvent des jeunes en échec scolaire qui entrent dans ce métier, souvent par désespérance. Mais même s’il s’avère que l’on est doué cela ne suffit pas. Il faut que les jeunes prennent conscience que c’est un métier qui demande de la passion et du cœur. Celui qui n’est pas prêt à s’investir à 300 % et à travailler 18 h par jour fera mieux de choisir une autre voix !

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